A-t-on affaire à une génération de sportifs plus militants ?
En tout cas, les exemples de sportifs prenant des postures militantes se multiplient ces derniers mois. J’y vois tout d’abord l’effet d’une évolution du statut du sport : il sort définitivement de la bulle qui était la sienne pour prendre, enfin, une place au coeur de la vie publique. Les sportifs aujourd’hui sont beaucoup plus conscients de l’impact qu’ils peuvent avoir et ils en jouent. Cela peut paraître paradoxal par rapport à d’autres phénomènes qu’on observe comme la dépolitisation ou un désintérêt pour le politique. En outre, les sportifs ne semblaient pas les mieux placés pour occuper ce rôle. En effet, ils ont longtemps semblé très éloignés des questions politiques. Le sport s’est aussi construit sur un mythe, celui de son apolitisme, même s’il y a une série d’exemples de sportifs au fil de l’histoire qui n’ont pas respecté cette règle tacite qui voulait qu’ils ne se mêlent pas de politique.
Pour prendre cette place, les sportifs doivent-ils forcer certains cadres ?
On sait par exemple qu’une communication très corsetée leur est imposée par leurs clubs, leurs fédérations… À partir du moment où ce qu’ils font ne suscite pas de controverses et est même susceptible d’indiquer un engagement positif, on peut considérer que cela fait partie d’une stratégie de communication. Mais certains gestes, certaines attitudes peuvent être moins maîtrisés et poser des problèmes pour les athlètes qui les ont. Si vous prenez aujourd’hui ce geste du genou à terre, c’est devenu un geste très convenu, même un passage obligé dans certains cas. On peut penser que le propre de l’engagement politique serait quelque part de prendre des risques : celui, d’être exclu, d’être mis sur le côté…, Colin Kaepernick, qui fut le premier à avoir ce geste, a pris ce risque et en a payé le prix d’ailleurs avec des conséquences sur sa carrière et sa vie même. Ce n’est plus le cas aujourd’hui pour ceux qui reprennent le geste. A leur niveau, on peut estimer qu’il y a une part de communication dans certains cas, qui rencontre les demandes de leurs fans.
Peut-on voir cela comme une espèce de retour à la normale pour des sportifs à qui trop souvent on a dénié la possibilité d’une parole politique ?
Je dirais que les prises de position qu’ils prennent sont des actes citoyens de bon sens qui les engagent, certes, mais qui ne les empêchent pas d’avoir eux aussi leurs préjugés. Certains de ses sportifs d’ailleurs polarisent tellement l’attention qu’on peut relever, les concernant, à la fois des prises de position claires, mais également dans des moments plus relâchés des comportements plus problématiques. Cela étant, ces sportifs participent incontestablement à la mise en place d’une espèce de citoyenneté par le sport, qui est de bon aloi à mon avis. Cette citoyenneté existait déjà pour les artistes, mais pas encore pour les sportifs qui, à cet égard, peuvent désormais être rapprochés des chanteurs, des acteurs, des écrivains… Je veux dire par là que les sportifs utilisent eux aussi leurs métiers pour faire passer des messages et s’exprimer en tant que citoyens.
Les sportifs sont-ils aptes à faire avancer des causes en les portant publiquement ?
Dans l’histoire, certains sportifs ont eu une véritable conscience politique. Je ne dirais pas que c’est le cas de tous les sportifs qui embrassent aujourd’hui des causes. Selon moi, c’est même une minorité qui a ce degré-là d’engagement.
Reste que tous les sportifs qui prennent des positions participent à une tendance de fond propre à différents pays et démontrent que le sport peut lui aussi déployer des ressources en faveur de la citoyenneté.
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